Le barbare érudit

Je mange du phoque cru avec mes mains en lisant du Baudelaire.

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Le scalptuel

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C’est un instrument très dangereux. Il s’agit d’une lame à double tranchant démunie de manche. Pour le manipuler, il faut le tenir du bout des doigts avec le plat de la lame. Un seul faux mouvement et il coupe sans effort toute matière organique, et seulement elle. De plus, le scalptuel ressent la présence de tout être vivant à proximité et y est attiré, mu par une volonté propre qu’il est impossible d’arrêter.

Cette volonté se transmet instantanément à la personne en possession du scalptuel. C’est l’instrument qui contrôle les actions de celui qui le tient entre ses mains. Ce contrôle s’exerce toujours dans le sens le plus violent qui soit. C’est-à-dire que le possesseur du scalptuel tentera de tuer sauvagement toute personne se trouvant à sa portée, tout être vivant, plante et animal. Le scalptuel ne tolère que son possesseur, mais encore que ce dernier devra l’alimenter en permanence de proie fraiche sous peine de se retourner contre lui.

Comme le scalptuel n’arrive à couper que la matière organique, un simple fourreau d’acier suffit à le ranger. Ce couteau ne perd jamais son fil qui semble conserver en permanence le tranchant le plus parfait qui soit. En fait, le scalptuel coupe tellement bien que le simple fait de l’appuyer sur une matière organique l’entraîne de son propre poids à traverser cette matière en n’appliquant absolument aucune pression.

On raconte qu’un jour, voulant tuer tous les courtisans qui venaient le voir à la cour, un roi, s’installant au balcon qui donnait sur la salle de réception où il les avait tous invités, laissa tomber nonchalamment le sclaptuel au milieu de cette foule et admira le massacre qui s’ensuivit. L’instrument coupa et trancha tous ces malheureux courtisans, les réduisant en charpie, le sang s’accumulant tellement qu’on dit qu’il y en avait au moins 20 centimètres d’épaisseur mêlés de chair, de pisse, d’excréments, de peau, de boyaux, d’os, de viscères, de lambeaux informes de vêtements, et que l’odeur resta en suspend dans cette salle plusieurs années durant. Le roi ne récupéra jamais le scalptuel.

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2 Mai 2010 at 10 10 50 05505

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Le lagopede

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Lorsque je tiens un lagopède entre mes mains, il est généralement mort. Si ce n’est pas le cas, je lui brise le cou en le tordant d’un côté et de l’autre. Inutile de le laisser souffrir pour rien. La viande devient coriace.

La première chose que je fais, c’est de lui arracher la tête. Y a rien à manger là-dedans. Que des os. Donc, je lui arrache la tête. Je prends le corps de ma main gauche qui me sert d’appui au niveau du cou et, de la main droite, je prends la tête juste à la base du cou et je tire un bon coup. Normalement, la tête vient immédiatement ainsi que quelques vertèbres. Je jette ça au loin.

Il faut ensuite arracher les ailes. Je suis les fins os jusqu’au coude. Là, je plie le bras dans tous les sens en tentant de briser les liaisons nerveuses avant de tirer pour détacher le tout du corps. Je répète l’opération des deux côtés.

Lorsque la tête et les bras sont enlevés, le reste est un jeu d’enfant. Je tiens le corps fermement entre mes mains, les pouces appuyés fortement contre la poitrine. Je déchire la peau de la poitrine du lagopède en écartant mes pouces et, comme si je le déshabillais, j’enlève toute la peau comme on retire un survêtement. C’est probablement le moment le plus agréable de toute l’opération.

De ma main droite, je soulève ensuite la cage thoracique du lagopède afin d’atteindre les viscères. Je ne garde que le cœur et le foie. Souvent même, je mange le foie sur le champ, encore tout chaud et cru. C’est délicieux! Quant au cœur, il faut savoir en prendre grand soin…

Voici donc comment j’apprête le lagopède.

Et maintenant, on recommence en remplaçant « lagopède » par « bébé ». En l’honneur de Cannelle

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12 mars 2010 at 19 07 31 03313

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Murielle

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Je la regardais déambuler lentement sur la rue. Je demeurais discret. Je ne voulais surtout pas qu’elle me remarque. Elle passait devant les vitrines sales des boutiques et laissait ses yeux errer entre les produits exposés et son propre reflet. Je connaissais son trajet par cœur depuis chez elle jusqu’à l’épicerie où elle travaillait.

Mon œil avait été attiré par elle trois semaines auparavant. Je passais par l’épicerie du coin pour y acheter quelques légumes, quelques fruits, un peu de viande et du lait. Lorsque je me présentai à la caisse pour y payer mes achats, c’est elle qui me servit. J’ai dans la mémoire l’image de cette jeune fille gravée à jamais. Ses cheveux noirs, profonds, épais, longs, bouclés. Son visage rond, ses pommettes rebondies, ses yeux pétillants où brillait la magnifique lueur d’une grande vivacité d’esprit, sa bouche grande et charnue. Surtout, le nom sur son étiquette : Murielle.

Depuis, je la suivais discrètement, j’apprenais à la connaître dans l’ombre. Je voulais tout savoir d’elle. Où elle vivait, que mangeait-elle, qui étaient ses amis, était-elle en couple, sa famille, son emploi du temps, qu’écoutait-elle comme musique, ses films préférés, ses émissions de télé, son repas favori, sa boisson, où sortait-elle, tout. Je l’ai donc suivi, ausculté, analysé, déconstruit durant trois semaines.

J’ai rapidement déduit qu’elle travaillait les lundi, mardi, jeudi, vendredi et samedi comme caissière à l’épicerie. Le mercredi, elle allait visiter sa mère sur la Rive-Sud. Le samedi, après sa journée de travail, elle sortait avec ses amis, toujours au même bar. Le dimanche, elle dormait jusqu’à 11 h. Elle mangeait peu de viande, mais beaucoup de fruits. Jamais de poire. Elle portait généralement des jeans dont elle roulait le rebord. Deux tours. Elle possédait au moins trois ceintures qu’elle alternait au gré du haut porté ce jour-là. Ses espadrilles étaient blanches. Même l’hiver. Elle écoutait de la musique pop et buvait de la bière à la lime. Elle avait 24 ans, vivait seule dans un petit appartement miteux, un 2½, qu’elle payait près de 750 $ par mois. Son travail lui suffisait à peine à joindre les deux bouts. Mais elle était heureuse. Elle avait la vie devant elle.

Elle avait abandonné l’école. Le cégep. Immature. Elle tentait de se convaincre jour après jour qu’elle y retournerait pour apprendre « un vrai métier ». Mais elle n’y croyait pas vraiment. Son boulot lui suffisait. Elle était célibataire, mais flirtait avec deux ou trois hommes. Une proie facile.

Je me décidai à cueillir ma proie un jeudi. Une semaine passerait avant que sa mère ne s’inquiète, ce qui me laisserait amplement le temps pour effacer toute trace d’elle.

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6 mars 2010 at 21 09 34 03343

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Une ligne au sol

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On trace une ligne au sol.

Tu la vois? Elle est bien là, juste devant. C’est toi et moi qui l’avons tracée. La règle, c’est qu’il faut se tenir le plus proche d’elle sans la traverser. Tu comprends? C’est simple, non? Toujours être le plus près possible de cette ligne, mais surtout, ne pas la traverser.

Que se passe-t-il si nous traversons cette ligne? En apparence, rien. Premièrement, nous ne nous en rendrons pas compte immédiatement. En fait, nous y prendrons même plaisir. Ça sera comme un interdit que nous aurons transgressé. Qui n’aime pas ignorer les interdits?

Il arrivera un moment où un de nous deux remarquera que nous avons traversé la ligne. Ça sera toi, ou moi, mais nous le remarquerons. Et dès ce moment, ça ne sera plus pareil. La règle, la seule règle qu’il fallait respecter, nous ne nous y sommes pas tenus. Nous avons triché.

Et qui dit tricheur, dit conséquence.

Nous avions le droit de changer les règles. En fait, nous avions non seulement le droit, nous avions le devoir de changer les règles. Nous aurions même pu effacer la ligne et la déplacer, la tracer ici ou là, ou même là-bas. Nous ne l’avons pas fait. Nous avons peut-être oublié. Nous avons peut-être ignoré la ligne.

Et maintenant, ce n’est plus pareil. Tout a changé. Tout est tombé. Tout s’est envolé. Il s’est fallu d’un instant, une parole, un mot, un geste, un regard même et voilà que la ligne a été traversée, une ligne rompue.

Que va-t-il se passer maintenant? Nul ne le sait. Nous tenterons peut-être de recommencer le jeu, peut-être que non. Peut-être qu’un seul d’entre nous aura envie de recommencer. Peut-être aucun.

Peut-être faut-il se trouver de nouveaux partenaires de jeu.

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17 février 2010 at 20 08 26 02262

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Le couteau

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Le couteau mesurait 22 cm. Le manche en mesurait 10 cm à lui seul, la lame en faisant 12. Il s’agissait d’un montage à plate semelle, c’est-à-dire que la soie du couteau était visible entre les deux plaquettes de bois qui formaient le manche. Ces plaquettes étaient fixées à la soie par trois rivets dont le dernier, le plus éloigné de la lame, était creux et permettait d’y passer une courroie. Les plaquettes étaient faites de bois de rose. Le manche avait été conçu pour épouser parfaitement la main de son propriétaire. Sur mesure. La lame, de forme elliptique semblable à une longue goutte d’eau, possédait une émouture convexe dont l’entablure commençait à environ 1 cm du manche. Le couteau ne possédait ni mitres, ni garde, seulement une encoche où poser le pouce et éviter que celui-là ne glisse des mains lors de son utilisation. Il était léger et extrêmement bien balancé ce qui en rendait le maniement d’un grand confort et sans fatigue. De plus, le bois du manche, jalousement entretenu, révélait la patine des années de soins maniaques de son propriétaire. Le tranchant de la lame était tel que le poids de cette dernière suffisait à entailler la peau la plus coriace en ne la laissant que glisser.

Une arme parfaite.

Il fallait observer attentivement le chasseur s’en servir pour éviscérer minutieusement ses proies. Une fois abattues, il les couchait sur le dos et, insérant la lame juste au-dessus de l’anus, contournant les organes génitaux, prenant bien soin de ne pas percer le gros intestin, il la faisait glisser tout le long de l’abdomen en maintenant le tranchant vers le haut afin de l’ouvrir et d’accéder aux abats. Devant lui s’étalait alors l’ensemble des organes qui, à peine quelques minutes auparavant, maintenait encore en vie la proie. D’abord les poumons, qu’il se dépêchait de retirer. Il pouvait ensuite commencer le tri de ce qu’il voulait conserver de ce qu’il rejetait. À sa gauche, le foie bien rouge, une pièce de choix pour le repas à venir. Puis, l’énorme estomac et juste au-dessus vers la droite, le cœur. Le travail délicat consistait à sortir le foie et le cœur sans percer l’estomac. Il insérait donc la lame lentement en prenant bien soin de soulever de la main gauche la masse lourde et visqueuse du foie. Là, il coupait les conduits qui le maintenaient dans sa position. Il pouvait passer au cœur, prenant tout son temps et coupant les veines et les artères qui y étaient reliées. L’estomac ainsi dégagé, il n’avait plus qu’à sectionner l’oesophage pour enlever d’un coup l’estomac et les intestins.

Venait ensuite l’écorchage à proprement parler. C’est là que la lame elliptique démontrait toute sa valeur. Il était possible au chasseur de dégager la peau de la proie de la chair sans percer ni la celle-ci, ni celle-là. Tirant sur la peau de la main gauche, il faisait de longs arcs en laissant la lame du couteau glisser lentement le long de la jonction de la peau et des muscles. Ce travail long et fastidieux lui permettait de récupérer le cuir de sa proie qu’il pourrait tanner plus tard. Il pouvait enfin détacher la viande des os.

Ce soir, Murielle était au menu.

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4 février 2010 at 21 09 37 02372

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Ma quête

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Je n’arrive pas à trouver ma quête, mon rôle dans cet univers. Je me demande ce que je fais, ce que je veux laisser, ce qui m’intéresse suffisamment pour m’y investir corps et âme, ce qui va guider ma vie. Je cherche et je ne trouve pas. Je me sens totalement blasé, insensible à la souffrance, au monde qui m’entoure, je me joue une comédie incroyablement loufoque où je me fais croire que ce que je fais a un sens alors qu’au fond de moi, il n’en est rien. Je me fous de mon travail, de mes responsabilités, de ma famille, de mes amis, de ma situation, de ce que je fais et ce que je ne fais pas, des autres, des animaux, des plantes, de la mer, du froid et du chaud, de ma femme, de ma fille, de mon chien, de l’actualité, du réchauffement de la planète, de l’histoire, de la littérature, de la science, de la religion, surtout de la religion, ce frein à la pensée, à l’épanouissement de la pensée, à l’épanouissement de la pensée critique. Je n’ai envie de rien. Rien ne m’intéresse. C’est comme si tout l’univers m’abandonnait alors que je l’abandonne moi-même. Je ne ressens aucune empathie, aucune pitié, aucun sentiment. Amoral. La mort et la vie ne sont, pour moi, que le passage nécessaire d’un état à un autre. Il n’y a aucune mission particulière, aucune façon de me faire frissonner. Mon corps se rebelle à l’idée des émotions. Le seul état acceptable pour lui reste la neutralité. Mais je ne suis pas plus dépressif que je ne suis enthousiaste. Je ne suis pas à la veille de me tirer une balle dans le crâne. Je suis totalement neutre. Aucune réaction. Ni pour ni contre. Amorphe. Comme un légume, neurovégétatif. Je joue la comédie non seulement envers moi-même, mais envers les autres. Je m’efforce de me plier aux règles sociales de bonne conduite alors que je n’en ai rien à foutre. L’anarchie m’indiffère, la démocratie m’indiffère, la dictature m’indiffère. L’amour m’indiffère, la haine m’indiffère. Je n’ai ni le courage ni la lâcheté de tout abandonner, de tout laisser tomber. Je vais, demain encore, me lever et me rendre à mon travail, faire ma journée, la subir, passif, avec toutes les briques qui me tomberont dessus, avec toute la merde qui s’accumulera, avec toutes les embûches qui viendront se mettre en travers de mon chemin. J’y ferai face, comme à chaque jour, chaque semaine, chaque mois, parce que c’est ma profession, que j’ai choisie croyant faire le meilleur choix possible. Ce n’est pas un choix. Le seul choix qui nous reste, c’est celui d’obéir à nos instincts. Même là, mes instincts m’ont abandonné, ne me laissant que mes pensées et mon conditionnement. Je m’imagine au centre d’un maelström, ballotté de gauche à droite, de haut en bas, d’avant en arrière, entre tout et rien, au point mort de tous les extrêmes qui existent. Surtout, indifférent à tout.

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9 janvier 2010 at 9 09 32 01321

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Dévisager

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Elle me dévisageait comme on dévisage la carcasse pourrie d’un morse, les côtes s’élevant de chaque côté de cette masse puante, inerte, comme les barreaux d’une prison pour l’âme.

Je sentais le dégoût et la haine dans son regard. Les yeux plus froids qu’une banquise dans le blizzard. La façon dont les narines de son nez frissonnaient de dédain, comme si l’air qui s’échappait de ma bouche venait empoisonner le sien. L’infâme rictus que ses lèvres formaient autour de sa blanche dentition alors qu’elle tentait de m’ignorer. Rien, ni le maintien hautain et arrogant, ni les soupirs méprisants, ne laissait planer quelque doute sur son état d’esprit.

Elle me haïssait.

Je n’étais qu’un vulgaire vermisseau et ma seule présence suffisait à faire de sa journée un véritable échec. C’était là ma seule consolation.

Il n’y eut jamais vraiment d’amour entre nous. Tout au plus un semblant de tolérance, comme le chien tolère la tique qu’il ne peut, de toute façon déloger. Elle apprit à m’ignorer. On finit toujours par oublier même l’irritant le plus persistant. C’était entendu entre nous que ma présence ne devait jamais la toucher. Un pacte silencieux qui nous unissait malgré la distance qui nous séparait.

Nous partagions le même appartement. Une longue histoire. Une incroyable histoire. Une histoire comme il n’en existe que dans les romans. Une petite copine, une amie, un ami, les études. Un bail. Chacun notre chambre, chacun nos affaire, à part le paiement du loyer, nous ne partagions que l’air que nous respirions. Nous établîmes aussi un horaire de visite très stricte : j’avais les lundi, jeudi et samedi, elle avait les mardi, mercredi et vendredi. Le dimanche, aucune visite permise. Lors des visites, il était défendu à « l’autre » de révéler sa présence. Nous expliquions que la chambre des invités était une salle de rangement pour un ex-coloc.

Nous étions mardi. Je me montrai.

J’entrouvris la porte de quelques millimètres pensant que j’étais seul. Je la vis dans les bras de son amante, l’embrassant passionnément, l’étreinte persistante d’un désir refoulé trop longtemps ignoré. Une poésie douce et envoûtante émanait de cette scène surprenante. J’étais hypnotisé par une telle démonstration de retenue et d’amour et, paralysé, alors que j’aurais dû m’en retourner dans ma chambre, je ne réalisai que trop tard qu’elle m’avait vu.

Written by Le barbare érudit

21 septembre 2009 at 21 09 22 09229

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